Marie-Soleil Labelle : les deux mains sur le volant

Elle n’a que 20 ans, mais elle connaît déjà très bien les podiums et carbure depuis longtemps à la vitesse, au vrombissement du moteur et à l’odeur d’essence des bolides qu’elle conduit sur les pistes de course canadiennes et américaines. Rencontre avec Marie-Soleil Labelle, une pilote qui voit grand.

À première vue, Marie-Soleil Labelle a tout de la jeune universitaire. Elle est féminine, élancée, articulée, engagée dans un double baccalauréat en génie mécanique et en technologie de l’information à l’Université d’Ottawa.

Mais il ne faut pas se fier à cette première impression. Parce que Sunny, comme ses proches la surnomment, est une talentueuse et redoutable pilote qui s’est notamment classée, en 2022, au 2rang de la Coupe Nissan Sentra en classe Micra, ainsi que 3e au Grand Prix du Canada. Un Grand Prix d’ailleurs remporté la même année et en 2024 par une autre femme, Valérie Limoges, dont Marie-Soleil Labelle semble suivre les traces… et compte bien les dépasser. Où le boudin noir est sacré

Entrée en piste

Disons-le tout de suite : la famille de la jeune pilote ne travaille pas dans le secteur automobile, et elle n’a jamais été amatrice de sports motorisés. Par conséquent, même si Marie-Soleil aimait jouer dans son enfance avec des voitures téléguidées, rien ne la prédestinait à piloter un jour.

Toutefois, lorsqu’à l’âge de 12 ans, elle a pour la première fois pris le volant d’un kart, le coup de foudre a été immédiat. « Je voulais tout le temps en faire ! lance-t-elle. Et comme j’y allais vraiment très souvent, les employés de Top Karting (Gatineau) m’ont proposé de venir après les heures d’ouverture. Ils étaient super gentils. Ils installaient pour moi des cônes, humidifiaient la piste. »

De fil en aiguille, quelques mois plus tard, Marie-Soleil Labelle a fait ses premiers pas dans une ligue de karting de compétition. « On était seulement trois, quatre filles dans toute la ligue, raconte-t-elle. Il fallait donc jouer des coudes pour faire sa place parmi les garçons. Mais comme je le dis souvent, quand on met un casque, on est tous pareils. »

Marie-Soleil Labelle, au volant d’un shifter kart, en 2019

Saisir sa chance

Tout a été assez vite par la suite dans la vie de la jeune fille. Après deux saisons, Marie-Soleil a intégré les rangs de la Ben Cooper Racing Team, trois fois championne du monde, en Rotax junior ; avant de passer en Shifter, des monoplaces à six vitesses qui filent à 200 km/ h, à la fin de l’année 2019.

Mais Marie-Soleil Labelle ne comptait pas s’arrêter là. À l’âge de 15 ans, celle qui voue une immense admiration à Gilles Villeneuve – sa voiture affiche d’ailleurs le numéro 27 fétiche de son idole – a fait le saut en voiture, devenant du même coup la plus jeune pilote féminine de la série canadienne Nissan Sentra, en classe Micra.

« J’ai obtenu mon permis de pilote avant même mon permis de voiture ! plaisante-t-elle. Mais c’est tellement naturel pour moi, la conduite. Certains aiment danser. Moi, c’est conduire. J’adore la vitesse, les pistes, l’odeur du gaz, des pneus et des freins qui chauffent. Ça vient toucher mes cinq sens, et ça ne me fait pas peur du tout. »

Une tête brûlée, Marie-Soleil Labelle ? Pas du tout. Sa passion n’a d’égale que sa détermination à repousser ses limites. En 2023, elle a d’ailleurs fait le saut de la classe Micra à la Sentra. Elle est aussi allée se perfectionner sur une Mustang GT à l’école de course Skip Barber Racing School, aux États-Unis, pour pouvoir s’entraîner en hiver, et ainsi être prête à concourir l’été.

Marie-Soleil Labelle au volant de sa Nissan Micra bleue. Crédit photo Pat Woodbury

« J’ai également commencé à faire de la course sur terre battue en DIRTcar Sportsman Modifieds, au sein de l’équipe Drivr Performance. Ce sont des voitures de 350 chevaux qui s’affrontent sur 30 tours, sur un circuit routier très différent du routier », explique la pilote, qui aimerait que l’ensemble de ces défis la conduisent à concrétiser son rêve de compétitionner en NASCAR.

La vie de pilote, au quotidien

Derrière l’adrénaline et le côté glamour des courses, la vie de Marie-Soleil Labelle est beaucoup plus disciplinée qu’on le penserait. Une journée typique de sa vie comprend de l’entraînement physique, du travail sur sa Sentra chez Dormani Nissan (Gatineau), des pratiques de conduite sportive sur simulateur ou sur piste (les jours de tests D). Ainsi que sa correspondance courrielle, l’animation de ses réseaux sociaux et des appels à des partenaires, car l’argent est bien sûr le nerf de la guerre pour réaliser ses ambitions.

« Mes parents me soutiennent pour mes études, mais j’ai dû trouver des commanditaires pour pouvoir continuer à m’entraîner et à participer à des courses, avoue-t-elle. Ça n’a pas été facile au début, car il fallait que je fasse mon nom, me distingue, que j’attire l’attention médiatique. Mais désormais, j’ai plusieurs partenaires qui me soutiennent, comme Lucas Oil, Evirum et Double Apex, qui m’a équipée du simulateur que j’utilise tous les jours. »

Mais comment Marie-Soleil parvient-elle en plus à greffer à cet horaire chargé les cours et examens d’un double baccalauréat ? « Grâce à des accommodements avec l’université, répond l’étudiante athlète. Je prends trois à quatre cours par session, plutôt que six. On m’envoie des notes de cours quand je dois m’absenter. Et je révise dans l’avion au lieu de dormir. Je me dis toujours que quand on veut, on peut. »

Effectivement, la jeune femme trouve même le temps de se perfectionner en mécanique. Novice au début, elle a observé de nombreux mécaniciens au fil des ans et sait maintenant comment changer des freins, une transmission… et même un moteur ! « C’est du gros boulot, mais je me suis trouvée plus intelligente après l’avoir appris, confie-t-elle. Et je pense que tout pilote devrait savoir comment sa voiture fonctionne, afin de mieux la piloter. »

Marie-Soleil Labelle en train de travailler sur la mécanique de sa voiture de course, au Garage Dormani NISSAN.

Un monde d’hommes

On ne se le cachera pas : rares sont les femmes qui brisent le plafond de verre du sport automobile ; 4 % d’entre elles seulement figurent parmi les pilotes les mieux classés. Marie-Soleil Labelle est tout à fait consciente de ces statistiques.

« C’est sûr que quand je suis passée à 15 ans du kart aux voitures de course, j’étais encore une enfant face aux autres concurrents, pour la plupart des hommes dans la trentaine, avoue-t-elle. Il a fallu que je prenne ma place et leur prouve que ce n’était pas parce que je mesurais cinq pieds un, et que j’avais les cheveux longs, que je n’étais pas en mesure de piloter. »

La jeune femme a tout de même vu les mentalités évoluer dans le milieu. « Le message passe, car je croise de plus en plus de pilotes féminines sur les circuits », confirme celle qui montre, par l’exemple, qu’il est possible de déjouer les pronostics. Marie-Soleil Labelle s’engage d’ailleurs activement dans la Women in Motorsports North America (WIMNA), un groupe dont la mission est de soutenir les femmes dans toutes les catégories de la course automobile.

Avec autant de cœur, de volonté et de dévouement, nul doute finalement que cette prometteuse pilote – doublée d’une double bachelière – s’illustrera, sous une forme ou une autre, dans les circuits routiers les plus prestigieux de la planète. Retenez bien son nom !

Crédit photo : Pat Woodbury

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