Travailleurs étrangers : quel impact les décisions gouvernementales auront-elles dans le secteur automobile?

Québec et Ottawa, engagés dans un bras de fer en immigration, ont annoncé des restrictions concernant les travailleurs étrangers temporaires qui vont toucher l’industrie automobile québécoise. Mais à quel point?

Le 20 août dernier, le gouvernement du Québec a proclamé qu’à compter du 3 septembre, la délivrance des permis pour les travailleurs étrangers temporaires à bas salaire (en deçà de 27,47 $ de l’heure, ou 57 000 $ par an) qui s’établissent à Montréal sera gelée pour six mois. Seuls les secteurs de la santé, de l’éducation, de la construction, de l’agriculture et de la transformation alimentaire bénéficieront d’une exemption.

Puis le 26 août, le gouvernement du Canada a aussi pris de nouvelles mesures pour les postes à bas salaire qui prendront effet le 26 septembre. On y retrouve le refus de traitement des demandes d’EIMT dans les zones métropolitaines où le taux de chômage est de 6 % ou plus, un nouveau plafond de 10 % de travailleurs étrangers temporaires au sein d’une entreprise, et une durée maximale d’emploi réduite de deux à un an. À peu de choses près, les secteurs exemptés sont les mêmes que ceux identifiés par le gouvernement québécois.

Évidemment, la teneur de ces deux annonces, ainsi que la rapidité de leur mise en œuvre, peuvent conduire beaucoup de gestionnaires du secteur automobile à s’inquiéter, le recours à une main-d’œuvre étrangère étant devenue une panacée dans une industrie aux prises avec une pénurie de travailleurs.

Nous avons donc été trouver des experts du milieu, tant dans le domaine de l’emploi que du recrutement à l’étranger, pour prendre le pouls des professionnels et connaître les impacts potentiels de ces nouvelles restrictions.

Danielle Lechasseur, directrice d’Innoviste, et Karim Mouldi, président de l’agence de recrutement international Canari.

Les limites de l’immigration temporaire

Chez Innoviste, l’OSBL qui soutient le développement de la main-d’œuvre dans l’industrie automobile québécoise, la position est encore neutre, car on ignore si les décisions prises par les gouvernements provincial et fédéral seront très dommageables dans ce secteur.

« Les enjeux que rencontrent nos gouvernements sont importants, il faut l’avouer, dit en débutant Danielle Lechasseur, directrice de l’organisme. Intégration, logement, francisation, santé, éducation. C’est encore plus vrai au Québec, où 50% de la main-d’œuvre étrangère arrive. »

Elle ajoute que les employeurs du secteur automobile eux-mêmes soulèvent ces problèmes, car ils ont du mal à loger leurs travailleurs étrangers temporaires, surtout si ces derniers viennent avec leur famille, en plus de connaître des enjeux de communication avec ceux qui ne parlent pas français. Les compétences de leurs nouvelles ressources d’origine étrangère ne sont pas non plus toujours adaptées à leurs besoins.

La directrice pointe également du doigt ce que les gouvernements considèrent comme des abus des entreprises : « Il faut rappeler, face aux grands cris des chambres de commerce, qu’un travailleur étranger est un être humain, et non un produit vendu sur Amazon. Au-delà d’une solution à un manque de main-d’œuvre, il faut être conscient que cette personne mérite un salaire identique aux autres employés, mais qu’on doit aussi s’assurer de l’intégrer correctement, et de lui offrir des conditions de vie correctes. Cela implique des responsabilités et des efforts de la part des employeurs comme de leur équipe. Or, il y a encore beaucoup de cheap labour en matière d’immigration temporaire. »

De nouvelles règles punitives et potentiellement dangereuses

Le son de cloche de Karim Mouldi, président de l’agence de recrutement international Canari, n’est pas le même que celui de Mme Lechasseur.

Même si les nouvelles restrictions ne touchent pas trop Canari, qui engage pour des employeurs québécois du personnel à l’étranger à des taux souvent égaux ou supérieurs à 27,47 $ de l’heure, il pense que les impacts de ces décisions se feront sans aucun doute ressentir dans le secteur automobile d’ici un an, lorsque les permis déjà émis prendront fin.

« Je pense tout d’abord que les données sur lesquelles s’appuient les gouvernements peuvent être biaisées, indique-t-il. Il faut notamment savoir si le taux de chômage de 6% pris en compte par le fédéral comprend les réfugiés. Cela est problématique, parce que oui, ces derniers sont bien prêts à travailler dans le secteur automobile — contrairement à beaucoup de Québécois, qui privilégient des secteurs plus payants comme la construction. Mais comme ils disposent d’un permis de travail ouvert, ils ont tendance à saisir la meilleure opportunité à leur portée, et n’ont donc pas de loyauté envers leurs employeurs. »

Le recruteur chevronné tient aussi à dénoncer le stéréotype du cheap labour dans le secteur automobile. « Penser que les entreprises du milieu se rabattent automatiquement sur des travailleurs étrangers est totalement faux! s’insurge-t-il. Les faire venir ici, c’est un processus lent, coûteux. C’est donc une décision songée, prise lorsqu’on ne trouve pas localement les professionnels dont on a besoin. »

Puis, M. Mouldi ajoute que les petits garages, notamment en région, qui sont déjà aux prises avec une pénurie de main-d’œuvre – « et pas seulement des laveurs d’autos ou des préparateurs peintres. On parle aussi de mécaniciens, de carrossiers et de peintres », précise-t-il – n’auront pas le choix : s’ils n’arrivent pas à recruter à l’étranger ou que les permis de travail octroyés ne sont que d’un an, ils devront rejoindre de plus grands groupes.

« J’encourage donc les responsables de l’AIA Canada et de la CCPQ à intervenir auprès des gouvernements provincial et fédéral pour les prévenir des impacts potentiellement catastrophiques que ces restrictions pourraient avoir dans ces PME. Leur survie en dépend, je pense », conclut-il.

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